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Homeland, générique : La politique de la peur (2e partie)

Le générique de la série Homeland nous parle de cette génération élevée dans les années 80 devant un poste de télévision qui ne cessait de diffuser images de guerre et discours anxiogènes. De quoi devenir paranoïaque…

Le choc et l’effroi

Préconisant l’écrasement physique et psychologique de l’ennemi par une très grande puissance de feu, la doctrine militaire du “Shock and Awe” (“le choc et l’effroi”) a été mise en application lors de l’invasion de l’Irak en 2003. L’idée était de créer chez l’adversaire un choc psychologique qui le plonge dans un état de terreur rendant impossible toute réaction. On le voit, les idées développées dans les années 50 par le psychiatre Ewen Cameron ont fait leur chemin, et le bombardement a remplacé l’électrochoc.

Soit théoriquement deux forces en présence : l’homme politique qui déclare la guerre, le militaire qui l’exécute. Mais ce qui serait possible dans une dictature ne peut l’être dans une démocratie : une troisième force entre en jeu, capable de faire et défaire l’homme politique et de contrecarrer les plans du militaire, l’opinion publique.

L’opinion publique est cette masse informe, aux comportements souvent imprévisibles, aux idées changeantes, mais qu’on peut vraisemblablement “traiter” comme tout malade qui s’ignore par des traitements de choc. Et du choc naîtra la peur qui permettra de modifier sa perception de la réalité et le rendra manipulable à merci.

Et si les électrochocs étaient remplacés par cette boîte à images et à discours qu’on nomme télévision ?…

Au générique de Homeland : Carrie, la télévision, Brody

Trois mouvements se déploient en parallèle, dans un montage rapide (un peu de moins de 80 plans pour 1 minute 20 de générique) où s’entrechoquent photos, plans spécifiques au générique, images d’actualités et images de la série sur fond musical free jazz.

Une petite fille endormie ouvre le générique. Le téléspectateur la voit, de dos, grandir devant la télévision, puis masquée dans un labyrinthe. Elle se présente ensuite de face pour intégrer, une fois adulte, la fiction. Aux photos du début succèdent ainsi des extraits de la série, dans laquelle la femme (Carrie, jouée par Claire Danes) travaille pour la CIA.

La télévision qu’elle regarde diffuse depuis le début des années quatre-vingts des informations anxiogènes selon lesquelles les Etats-Unis semblent constamment attaqués et en guerre contre des ennemis extérieurs. Sont ainsi cités visuellement et oralement des interventions de Ronald Reagan, George Bush père, Bill Clinton, Colin Powell et Barak Obama. Mais si les orateurs changent, les discours, eux, se ressemblent tous.

Un homme fait son apparition, d’abord subrepticement, dans le même labyrinthe que la fille, pour finalement s’imposer à l’image. C’est le sergent Brody (joué par Damian Lewis), qui apparaît en uniforme, avec sa famille, puis seul, regardant le Capitole à Washington.

De la terreur à la folie

La petite fille du début, c’est cette opinion publique qui grandit avec la télévision. Elle est seule dans l’image, sans présence adulte. La télévision façonne son esprit par des images, toujours les mêmes, de forces militaires actives et sur tous les fronts envoyées par des hommes politiques aux motivations belliqueuses. La peur est ainsi implantée, construite de toute pièce dans le cerveau de l’enfant qui, adulte, décidera d’oeuvrer contre cette peur au sein de la CIA. Le but recherché est atteint, même si un effet secondaire gangrène la jeune femme : la peur engendre des troubles de la personnalité, symbolisés par le masque de lion et surtout le labyrinthe.

Un esprit labyrinthique, obsédé par la sécurité de son pays, qui ne voit pas que la plus grande menace est en réalité intérieure. Carrie doit faire face à deux ennemis, aussi dangereux l’un que l’autre : elle-même, et ce militaire qui apparaît dans son labyrinthe, d’abord seul, puis dans le même plan mais séparé par un mur végétal. Métaphore de la peur elle-même, il devient menace réelle lorsqu’il finit par sortir du labyrinthe pour observer le symbole du pouvoir : le Capitole. Il fallait oser : c’est implicitement l’armée qui constitue la plus grande menace pour le pays.

L’homme politique est, lui, présenté par l’image, toujours la même, des interventions télévisées (plan poitrine du chef de l’Etat s’exprimant sur un sujet grave face à une caméra ; exceptionnellement, plan de Colin Powell s’exprimant devant les représentants de l’ONU ; plan, enfin, de Barak Obama la tête à l’envers, puis à l’endroit). Il y a donc un intermédiaire entre l’opinion publique et le monde qui la gouverne, et cet intermédiaire (cette arme ?) est la boîte à images qui, dès les années 60, a colonisé les foyers. La télévision, ici, ne diffuse que de l’information. Mais quelle information ? Une information non vérifiable, anxiogène et choquante.

Je t’aime, je te hais

Le générique rend visible ce pouvoir de l’image et cette manipulation par la télévision de deux façons :

– au niveau narratif, en faisant par exemple se succéder l’image du joueur de trompette et celle de l’enfant jouant par mimétisme de la trompette ;

– au niveau formel, en créant des boucles par la répétition du même plan, en superposant certaines images, et en insérant des images quasi subliminales, notamment celle du sergent Brody qui apparaît pour la première fois de façon presque invisible et qui  finalement creuse son trou dans le cerveau labyrinthique de Carrie. Le montage est ainsi à l’image de ce cerveau, tortueux, saccadé, fait de flashs et de ruptures, de chocs.

Tout l’enjeu de la série est ici résumé : il va être question de cette pulsion/répulsion que Carrie éprouve pour Brody, qu’elle ressent pour son métier, qu’elle vit pour son pays. Car la folie d’une seule, c’est la perte d’équilibre de l’ensemble. Au téléspectateur de prendre conscience de l’aveuglement dans lequel il a été plongé, et de rouvrir enfin les yeux, éveillé une bonne fois pour toute.

Bonus : 

Deux génériques de séries hantent la structure de celui de Homeland :

1. Le générique de Dream On (1990-1996), ancêtre des séries adultes développées à la fin des années 90 et qui connaissent leur âge d’or dans les années 2000.

L’idée de l’enfant qui évolue devant la télévision et qui se construit le réservoir des émotions qui structureront sa vie d’adulte est déjà illustrée par l’alternance des plans montrant l’enfant captivé par le poste et des images en noir et blanc qu’il regarde. Mais si la caméra fait ici face à son personnage, l’enfant de Homeland est d’abord présentée de dos : le téléspectateur a subi le même traitement qu’elle, il n’a plus qu’à ouvrir les yeux (métaphore explicitement présentée dans le générique).

2. Le générique de Carnivàle (la Caravane de l’étrange, 2003-2005), constitué d’images d’archives qui résument en quelques plan l’histoire des années 30 aux Etats-Unis avec la crise de 29 et ses conséquences, en Europe avec la montée des fascismes et la préparation de la guerre.

Dans le générique de Homeland, tous les discours convergent vers les images du 11 septembre 2001 (moment où commence la fiction), et posent ces questions sous-jacentes à la série : la menace était bien réelle ? La peur aurait-elle engendré un monstre nommé Al Qaïda ?

Infos :

Série adaptée par Howard Gordon et Alex Gansa  d’une série israélienne intitulée Hatufim (“Kidnapped”, créée par Gideon Raff) pour la chaîne câblée Showtime, produite par Fox 21. Avec Claire Danes, Damian Lewis, Morena Baccarin, David Harewood… Pilote diffusé le 2 octobre 2011, réalisé par Michael Cuesta (qui deviendra producteur exécutif de la série).

Encore plus d’infos sur le site Homeland série.

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