Sémiosine

Peut-on « faire éthique » avec un choix typo ?

L’équation mutuelle = solidaire ne va plus de soi. L’emploi d’une typo connotée « éthique » est ici le moyen de rappeler avec force que le principe de la mutuelle est justement celui de la solidarité.

L’assurance, comme la banque, est un domaine lisse, rigoureux, souvent gris, où rien ne dépasse. Mais ces visuels de la campagne pour la MGEN (Mutuelle générale de l’Éducation nationale) rompent avec les codes habituels du secteur. Tout à coup, voilà une typo colorée, rugueuse, irrégulière, mal dégrossie.

Bizarre, décalé ? Pas du tout. Cette typo nous dit, de façon très voyante : « Ceci n’est pas une mutuelle comme les autres ». Car pour se présenter comme la « référence solidaire », la MGEN a dû emprunter à un univers clairement associé, dans l’esprit du public, à la notion de solidarité : celui de l’économie éthique qui, malgré sa relative jeunesse, possède déjà des codes graphiques. Un de ces codes est l’utilisation fréquente de ce que j’appellerai, faute de mieux, des typos mal dégrossies.

C’est le cas, en France, de la marque Alter Eco, dont les packagings tout-typo font la part belle à ce traitement graphique.

 

Toujours en France, c’est encore le cas pour le logo tremblotant de La Vie Claire, pionnier hexagonal de l’alimentation biologique, ou la totalité de l’identité graphique de la marque N.A. [Nature Addict], nouveau venu sur le marché de la confiserie avec ses pâtes de fruits sans aucun ajout :

C’est aussi vrai à l’international : Fair and Square est un bar new-yorkais équitable, Swiss Fair Trade est la principale organisation suisse de commerce équitable. Quant au label Fairtrade School, un concept initié par Max Havelaar, il est décerné aux établissements scolaires qui sensibilisent au commerce équitable et le pratiquent.

La matière dont nous sommes faits

Mais en quoi ce traitement (typo)graphique peut-il être associé aux notions d’éthique et de développement durable ?

– Il constitue un <marquage à faible impact>. Un peu comme une teinture végétale et ses irrégularités de bon aloi.

– Il évoque les fruits et légumes forts de tous leurs défauts naturels de surface, c’est-à-dire non traités, non calibrés, issus de circuits non industriels. Mais aussi les produits qui ont gardé des traces de terre, comme ces légumes achetés chez le producteur. Bref, dans l’un et l’autre cas, des <produits qui n’ont pas été « salis » par un passage dans le circuit du marché mondial>.

– Il rappelle la technique au pochoir utilisée pour le marquage des caisses en provenance des colonies. À noter que dans les deux exemples ci-dessous, la référence au <commerce colonial> s’accompagne d’un double trait horizontal qui évoque un encadrement rigoureux des pratiques commerciales.

– Il peut aussi être associé au <militantisme> : des slogans peints en urgence sur des supports de fortune, un rouleau qu’on n’aurait pas complètement trempé dans la peinture et qu’on passerait une seule fois, par manque de temps ou de moyens.

D’un signifié à l’autre, les irrégularités de la texture de ces caractères typo mal dégrossis renvoient donc, tour à tour, à une matière supplémentaire (terre, œil sur la peau d’un légume) ou à une matière manquante (peinture, teinture, trou de matière sur le pochoir). Qu’elle se signale « en plus » ou « en moins », la matière typographique apparaît comme une métaphore de la matière dont nous sommes faits, dont notre Terre est faite.

Le plus et le moins constituent les deux faces d’une même médaille. Consommer mieux pour consommer moins, produire moins pour vivre plus : nous sommes au cœur de la problématique du développement durable.

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