Sémiosine

La Banque postale, un retour aux origines ?

La Banque postale vient de prendre un virage en termes de positionnement et d’image. Une campagne orchestrée à grande échelle autour d’une nouvelle signature institutionnelle « Banque et citoyenne ». Derrière ce discours aux accents militants et contemporains, rien de bien révolutionnaire, mais la nostalgie d’un paradis perdu : celui d’une utopie bancaire encore intacte.

Oublier le discrédit jeté sur les banques, redorer leur blason entaché par des années de malversations et de scandales financiers, telle est l’ambition que nourrissent aujourd’hui tous les établissements financiers.

Dans sa dernière campagne, la Banque postale ne vise pas autre chose, puisqu’elle s’attache à redéfinir la notion de banque, histoire d’effacer les connotations négatives qui pèsent lourdement sur elle.

Laver le mot « banque » de tout soupçon

Les visuels déclinés dans cette campagne récente tournent tous autour de ce terme qui a désormais mauvaise presse. On recense pas moins de huit mentions du terme « banque » sur chacun d’entre eux. Dans ces nombreuses occurrences, celui-ci n’apparaît jamais seul, complété par un adjectif, un nom, une relative, qui le rénovent, le purifient, voire le dotent d’une nouvelle aura.

L’adjectif « postale » tout d’abord le débarrasse d’un certain nombre de préjugés, puisqu’il introduit l’idée de service public, d’intérêt collectif. « La Banque postale, banque et citoyenne », une signature qui rappelle celle de la Banque populaire (« Banque et populaire à la fois ») dont le contenu métalinguistique permettait d’expliciter auprès du public, le nom donné à cette structure.

Avatar des réalités sociales que recouvre l’adjectif « postale », le terme « citoyen » traîne dans les discours vertueusement éthiques actuels. Crédit Mutuel, Crédit Agricole, BNP…, les « banques citoyennes » fleurissent, au point de devenir une forme de cliché, un lieu commun forgé dans le creuset de nos préoccupations sociétales. Il faut dire que cette expression a de quoi séduire et interpeller : formule paradoxale, elle relève du mariage contre-nature. Comment un établissement financier devenu pour beaucoup un spectre capitalistique immoral pourrait-il être responsable, solidaire et généreux ? A l’apparente contradiction (« banque citoyenne »), la Banque postale préfère la complémentarité en assumant deux dénominations, celles de « banque » ET de « citoyenne ». Elle met ainsi l’intérêt de la société au même niveau que son intérêt propre.

Réaffirmer la vocation de la Banque postale

En 2007, quand la Banque postale adopte la signature « Bien plus qu’une banque », elle fait de sa singularité son identité. Renouant avec la mission assignée à la Poste, elle continue de se construire en opposition aux autres, à ceux que la société a cloués au pilori du fait de leurs pratiques honteuses. Les testimoniaux des individus qui prennent la parole sur les visuels de cette nouvelle campagne ne disent pas autre chose. En creux, ils stigmatisent les mauvais agissements de certaines banques : « J’ai choisi la banque pour qui assurance veut dire transparence / J’ai choisi la banque qui respecte les petites économies / J’ai choisi la banque pour qui le crédit n’est pas un mode de vie ».

Loin de s’exprimer de façon autoritaire, la Banque postale s’efface devant ses clients qui offrent des témoignages vivants et impliqués. Elle compte sur eux pour requalifier le terme de « banque » avec des relatives déterminatives qui en modifient le contenu et en suppriment, une à une, toutes les connotations négatives. Sus aux escroqueries bancaires ! A bas le manque de scrupules de certaines banques qui asphyxient leurs clients à grand renfort de crédit revolving ! Exit les banques qui ne s’intéressent qu’aux profils rassurants et rentables ! En jouant d’un bouche à oreilles sympathique, la Banque postale rejette tout matraquage publicitaire direct. Au commercial, elle préfère l’institutionnel.

Le choix des clients représentés est à ce titre éloquent : des couples, un entrepreneur en costume, des jumelles, une famille recomposée, une jeune musicienne, des blancs et des métissés, des jeunes et des plus vieux… Sous les yeux du public, c’est un microcosme français qui se donne à voir, dans toute sa diversité. La Banque postale reprend ainsi son credo historique et démocratique : être « la banque pour tous ». Une façon pour elle de revenir au sens originel du mot « citoyen », désignant le membre d’une communauté politique régie par des droits et des devoirs, tout en flirtant avec la notion de civisme sans l’assumer franchement. En s’adaptant aux problématiques de chacun de ses clients, elle apparaît protéiforme. En témoigne la variété des services et produits qu’elle décline sur chaque visuel. Finalement, la Banque postale fait des idéaux démocrates son fond de commerce. Comment interpréter autrement cette mission citoyenne qu’elle s’assigne ouvertement ?

Le fantasme d’un nouveau système financier

En dépouillant les mots de leurs connotations, en cédant la parole aux clients, la Banque postale impose un discours sincère et transparent, dissipant toute ambiguïté. Le chiasme « une banque qui dit ce qu’elle fait et fait ce qu’elle dit » explicite ce désir de mettre sur un même plan d’honnêteté les paroles et les actes.

La Banque postale promeut alors une autre vision de la banque qu’elle compte bien incarner : à la fois éthique et rentable, humaine et performante. Cet autre modèle bancaire qu’elle semble appeler de ses voeux, elle l’aborde par le choix d’un décor dépouillé et blanc. Contrairement à ses concurrents qui intègrent leurs vrais clients dans des lieux réels et quotidiens, elle opte pour un lieu qui n’existe pas, celui de la terra incognita, vierge, où tout est à construire.

Seuls de rares éléments meublent le décor. L’escalier tout d’abord qui pourrait symboliser celui de la vie, de l’évolution personnelle, voire de la réussite que se promet d’accompagner la Banque postale. Des piliers et colonnes apparaissent parfois également, structurants et porteurs, comme autant de métaphores du rôle d’auxiliaire joué par la banque auprès de ses clients exposés aux aléas de la vie. Le blanc, couleur de la pureté, du paradis, renvoie à l’utopie, qui n’est, rappelons son étymologie, qu’une absence de lieu. Le bleu constitue la couleur de la nation française par excellence, mais aussi de la Poste, dans son traitement spécifique allant du bleu profond au bleu électrique.

C’est en redonnant aux mots leur sens originel, et donc au langage sa vérité initiale que la Banque postale revendique sa différence. C’est en cédant la parole à de vrais clients, en refusant tout décorum et mises en scène qu’elle s’engage ouvertement auprès de l’ensemble des forces économiques et solidaires de l’Hexagone. Artisane d’un programme sociétal ambitieux, elle espère ainsi déjouer les critiques et suspicions faites à son encontre depuis son changement de statut en 2010.

Pour les nostalgiques d’un passé idéalisé, pour les déçus du capitalisme forcené, la Banque postale propose une révolution douce. Au programme, des valeurs et idéaux sûrs, ceux-là mêmes qui ont forgé la République française.

10 réflexions sur “La Banque postale, un retour aux origines ?”

  1. Bonjour Séverine, je découvre Semiozine et je peux dire que je trouve l’idée très intéressante ! Me penchant depuis quelques temps maintenant sur la sémantique, je ne m’étais pas encore avancé sur la route de la semiotique et je sens que votre site va m’en donner envie…

    Pour ce qui est du sujet qui m’intéresse aussi tout particulièrement, je trouve votre analyse très bien ficelée et tout à fait pertinente ! Je n’aurais jamais été aussi loin de moi-même… Chaque banque joue sur un terrain qui est le sien, comme vous le dîtes si bien La Banque Postale a une histoire assez particulière avec les français (notamment grâce à son « Livret A ») et cela doit grandement jouer dans leur communication encore aujourd’hui.

    Pour le côté graphique on notera les lignes graphiques qui conduisent le regard sur ces « gens » qui deviennent ainsi graphiquement les personnages centraux de ces affiches… !

    A bientôt.

    1. Séverine Charon

      Bienvenue Charlotte sur notre blog et merci pour ce retour enthousiaste !
      Il y aurait en effet fort à dire sur le traitement graphique qui remet l’humain au centre de la publicité, exploitant un ressort commercial qui fonctionne bien, celui des gens ordinaires.
      A très bientôt !

  2. Bonjour,
    Merci pour votre article. Point important à soulever : la mise en scène typographique faite pour rappeler les affiches propagandistes de Rodchenko. Donc la Banque Postale va encore plus loin, elle s’oppose au système capitaliste actuel en réactualisant les références soviétiques.

    1. Séverine Charon

      Bonjour Elodie,

      merci d’apporter votre écot esthétique au décryptage de cette campagne qui cherche décidément à sortir des sentiers capitalistiques battus et mal perçus.

  3. Bravo
    Longtemps que je n avais pas lu quelque chose d aussi fin et lumineux
    Un regal !! Et tellement juste
    Vous donnez au lecteur le sentiment de devenir intelligent

    Un couple de toulousains quadras csp+

    1. Séverine Charon

      Merci Carle pour cet enthousiasme sans faille qui donne une envie certaine, celle de poursuivre notre chemin de pèlerins sémiologues 😀

  4. Historiquement, le personnage du banquier a toujours eu mauvaise presse dans notre société à dominante dogmatique catholique. Au Moyen Age, l’usure était interdite par l’Eglise (c’étaient donc les juifs qui s’y collaient, sous le regard réprobateur de la population qui y voyait une forme de vol). C’est d’ailleurs pour permettre aux banquiers catholiques de se libérer de cet argent « impur » que le Purgatoire a été inventé au 12e siècle. Comment entrer autrement que pauvre (conformément aux Ecritures) dans le Royaume des Cieux? L’idéologie capitaliste, les scandales financiers, la mise au jour de pratiques abusives… tout cela fait ressurgir une aversion qui est loin d’être récente. Profondément ancrée dans notre inconscient collectif, l’idée d’une banque profiteuse, « sale », en tous points opposée aux valeurs humaines n’est pas facile à atténuer. On le voit, tout l’enjeu des banques est de gagner la confiance de leurs clients, plutôt suspicieux de nature (combien de bas de laine cachés sous le matelas ont refait surface lors du passage à l’Euro!). La confiance, c’est LA problématique du banquier depuis toujours. Dans les années 2000 le créneau porteur c’était le plus: « Bien plus qu’une banque » (qui rappelle la signature de Canal+: « Vous regardez bien plus que de la télé »). Bien tenté mais trop flou. Puis il y a eu la mode du « durable », de l »‘équitable » et des prêts « solidaires » qui vont avec. Aujourd’hui, le nouveau credo c’est la citoyenneté, comme si les mots « banque » et « citoyenne » étaient effectivement incompatibles au plan sémantique! Elles rament, elles rament les banques… Pas facile pour elles d’obtenir l’absolution.

    1. Séverine Charon

      Un grand merci, Sylvie, pour cette analyse qui met bien en perspective la crise actuelle du secteur bancaire avec les casseroles historiques qu’il traîne dans un imaginaire collectif chargé !

  5. Ah, d’accord, ça doit donc être parce qu’elle est citoyenne et proche des ses « administrés » (n’ayons pas peur des mots) que ses « Correspondants clients » n’envoient plus que des courriers types qui commencent tous par : « Comme nous en sommes convenus lors de notre entretien téléphonique du xxx, j’ai le plaisir de vous adresser… », alors que les entretiens téléphoniques en question n’ont jamais eu lieu ?!… Personnellement, ça fait deux fois de suite (et à propos de deux sujets différents) que je reçois ce genre de courriers, qui, loin de témoigner la moindre proximité relationnelle, ont plutôt tendance à signifier, du moins à mes yeux, non seulement qu’ils se foutent du monde (sauf à ce qu’ils soient tous atteints d’hallucinations auditives), mais qu’on ne peut justement pas se fier à eux, puisqu’ils inventent et nous entraînent d’emblée dans une histoire qui n’est pas la nôtre, au mépris d’une réponse claire, nette et circonstanciée au courriers qu’on leur envoie. Bref, c’est mal exprimé, tout ça, mais j’avais envie par là de réagir à cet article, et de vous saluer/remercier pour ce que vous faîtes. ; – )
    Que du bon, et longue vie à Sémiozine !
    R

    1. Séverine Charon

      On accepte ces bons voeux et encouragements, avec allégresse ! Merci Ralph pour ce témoignage qui nous invite à passer de l’autre côté du miroir…

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