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La liberté guidant les singes

La Planète des singes : les origines (Rise of the Planet of the Apes) est la préquelle de la célèbre série cinématographique La Planète des singes. C’est l’affiche du film qui nous le signifie.

L’armée des singes

Le singe au centre de l’image fixe d’un air menaçant le spectateur.

Anthropomorphisé par le bras levé et le poing fermé, il mène une armée tout aussi menaçante. Signe de révolte, de révolution, ce geste est récurent lorsqu’il s’agit d’illustrer un appel à l’insurrection et à la liberté.

On notera cependant que le singe lève le bras gauche alors que les représentations qui précèdent montrent un bras droit (de la justice ?)  tendu vers le ciel. Du point de vue de l’homme, spectateur avant de devenir victime (fictionnelle) de l’animal, la révolte des singes peut-elle en effet être considérée comme juste ?

Ce bras tendu vers le ciel renvoie également à un autre symbole américain, la Statue de la Liberté.

On peut alors voir dans l’affiche du film de 2011 un clin d’oeil à celle du film de 1968, La Planète des singes.

De l’homme au singe

Les deux affiches sont en réalité à analyser en parallèle. Un rapprochement chronologique permet de mettre en évidence la symétrie inversée des deux images.

Que voit-on ? Le bras de la Statue de la liberté vs le bras tendu du singe, le titre en haut (les singes dominent) vs le titre en bas (c’est le début de la révolte), la fin de la domination de l’homme (la statue à moitié enterrée dans le sable) vs l’ascension du règne animal.

Si à présent on rapproche les deux affiches selon la temporalité fictionnelle, voici ce qu’on observe.

L’avant, c’est la révolte des singes et la destruction de l’humanité en cours. L’affiche de 2011 est ainsi coupée en deux par le célèbre Golden Gate Bridge, le pont de San Francisco, prouesse technique au XXe siècle et symbole du progrès humain. Il faut suivre ce pont de gauche à droite pour en comprendre sa fonction dans l’image : il est comme un axe temporel qui irait de la destruction – la ville en feu en arrière-plan – à la victoire – ce lever de soleil à droite, sous le bras levé du singe meneur, qui semble indiquer le triomphe futur de cette armée simiesque aux traits presque humains.

L’après, c’est la Statue de la Liberté enfouie sous le sable d’une plage, signe de la défaite du genre humain. La domination des singes est, elle, indiquée par ce visage qui se reflète en haut à droite de l’image, et par ce corps d’homme agenouillé tête baissée face à la statue. L’humanité en grande partie détruite, la planète des singes n’est autre que la Terre. Le rêve américain qui s’est construit notamment par la conquête de l’Ouest (San Francisco) est devenu cauchemar avant de revenir s’éteindre sur la côte Est (New York).

Réactiver le mythe

L’affiche de cette préquelle parvient ainsi à s’inscrire dans la mythologie de la série des films. Analysée en regard de l’affiche du premier film de 1968, elle prend tout son sens – contrairement à l’affiche du remake de Tim Burton (2001), qui, ressemblant plus à celle d’un space opera, brouillait dangereusement les pistes au point de perdre les spectateurs.

La cohérence construite graphiquement par l’affiche de 2011 est renforcée par l’utilisation de la même typographie, avec des lettres pleines qui permettent de créer un effet de lumière au centre du titre qui fait écho au soleil prémonitoire de l’image.

L’ accroche « Evolution becomes revolution » s’inscrit, elle, dans l’affiche en la commentant :

-> le mot « evolution » (merci Darwin) se situe exactement au dessus de San Francisco en proie aux flammes ;

->« revolution » est placé exactement au dessus du poing fermé du singe meneur ;

->« becomes » désigne explicitement le singe qui va acquérir, longtemps après cette préquelle, le langage, pour dominer la race inférieure que constituent désormais les humains (quasiment absents de l’image, si l’on excepte l’hélicoptère près du singe, qui tient plus du moustique que de la machine volante, et de formes noires sur le pont qu’on suppose être des figures humaines).

Autrement dit, l’évolution des singes et son corolaire, la régression du genre humain, passent par une révolution synonyme de destruction du monde civilisé.

Tous les éléments sont en place, les singes peuvent poursuivre leur conquête de la planète Terre. Et  réactiver cette histoire qui fascine des générations de spectateurs depuis la fin des années 60.

En bonus, la bande annonce, en VOST :

Note : l’affiche française du film (source : allociné) est très proche de l’affiche américaine.

Les différences cependant, qui semblent plus relever de problèmes de disposition dans l’image que de choix, brouillent le message. L’accroche perd ainsi de son intérêt, et le visage du singe a été changé. Problèmes de cadrage ?

Et pour voir ou revoir les films :

  • La Planète des singes (Planet of the Apes) de Franklin J. Schaffner (1968)
  • Le Secret de la planète des singes (Beneath the Planet of the Apes) de Ted Post (1970)
  • Les Evadés de la planète des singes (Escape From the Planet of the Apes) de Don Taylor (1971)
  • La Conquête de la planète des singes (Conquest of the Planet of the Apes) de J. Lee Thompson (1972)
  • La Bataille de la planète des singes (Battle for the Planet of  the Apes) de J. Lee Thompson (1973)
  • La Planète des singes (Planet of the Apes) de Tim Burton (2001)
  • La Planète des singes : les origines (Rise of the Planet of the Apes) de Rupert Wyatt (sortie française le 10 août 2011)

3 réflexions sur “La liberté guidant les singes”

  1. Ping : La Planète des singes : l'affrontement, et le transmédia - Sémiozine

  2. Merci de partager ce lien avec nous, et de nous faire découvrir, par la même occasion, votre passionnant blog de cinéphile : http://eightdayzaweek.blogspot.com/
    Pour cette analyse, j’ai utilisé les deux affiches qui s’imposent quand on fait une recherche rapide sur Internet (et Internet a souvent la mémoire courte) : celles qui illustrent les fiches du film sur le site américain imdb et sur le site français allociné – celles finalement qui semblent s’être imposées pour la promotion actuelle du film. On trouve il est vrai l’affiche de 1968 sur le site américain, noyée dans une foule de photos, mais qui mériterait à elle seule une analyse sémio…

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