Sémiosine

Pocket de DIM par F. Beigbeder : sexy ou sexiste ?

Sexy ou sexiste, la publicité réalisée par Frédéric Beigbeder pour les pockets de DIM ? Les internautes se déchirent sur cette épineuse question qui ressemble de plus en plus, pour la marque de sous-vêtements, à un bad buzz.

La polémique

Les commentaires publiés sous la vidéo de la marque sur la plateforme Youtube illustrent à merveille le combat verbal qui se joue entre féministes et antiféministes :

CONTRE : « Bah oui voyons, toute femme qui se respecte ne commence pas la journée sans faire un peu de rollers en culotte en plein milieu du salon, c’est tellement normal & naturel comme activité… Pareil quand je vais chercher un livre sur une étagère, faut que mes seins soient à l’air sinon ça va pas hahaha Et puis c’est bien connu les hommes sont débiles & savent pas se controler quand ils voient les jambes d’une fille 20 ans plus jeune qu’eux hein Quitte à être sexiste & insulter les femmes autant insulter les hommes aussi, pourquoi pas ? Enfin bref. Vieille pub de merde. Si le réalisateur veut faire du porno softcore bah qu’il fasse du porno softcore, pas de pubs. » (Dan Komochi)

POUR : « pourquoi vous trouvez ça sexiste ? moi dans mon couple ma copine se met souvent en petite tenue à la maison et agit comme dans le pub (90% des femmes jeunes le font) cette pub ne fait que refléter la réalité. Mais bon y aura toujours des vieilles pour s’offusquer de tout alors qu’il y a des sujets bien plus importants à traiter qu’un slip dans une pub  » (Mike)

CONTRE : « Quelle originalité !!! Sérieux on en a marre là. Indigestion de culs de femmes dans les pubs. Objectifier la femme c’est déjà horrible, mais alors ce scénario machiste de merde… Comme le dit si bien Libé « J’attends la pub où Amélie Nothomb en bavera des ronds de chapeaux derrière son PC en lorgnant un éphèbe en slip Eminence. Là, peut-être. Mais le public la trouvera-t-il aussi « sexy », aussi « glamour », ou bien juste parodique ? Ce qui pourrait se faire aussi, c’est que la jeune femme écrive et qu’un Beigbeder évincé aille étendre la lessive ». (Caroline M.)

POUR (quoique) : « Ok cette pub est médiocre mais elle met en scène une femme qui fait du charme à son homme je ne vois pas vraiment ce qu’il y a de sexiste. Dans ce cas là les pubs avec des hommes en sous vêtement sont sexistes aussi, et les pubs d’adopte un mec traite les hommes comme des morceaux de viande… Sérieusement faut arrêter de crier au scandale pour n’importe quoi. » (51dodoc)

Les stéréotypes ont la vie dure

Par-delà ces verbatims au langage quelque peu fleuri mais qui reflètent bien le côté sensible de cette question de la représentation stéréotypée des sexes, il est intéressant sémiologiquement parlant de se demander ce qui pousse à des avis aussi tranchés et antagonistes sur la nouvelle publicité d’une marque faisant jusqu’alors plutôt consensus et connue pour ses spots mettant en scène des femmes et des hommes le plus souvent court vêtus, dans une ambiance joyeuse et mutine.

Sexy, cette femme, qui change trois fois de culottes, tond son gazon, circule en rollers devant un Frédéric Beigbeder hébété, pourrait l’être si le traitement entre les deux protagonistes était égalitaire et original. Or les stéréotypes sont, comme on va le voir, légions ; les différences entre l’homme et la femme sont flagrantes (l’homme est plus âgé, plus habillé, plus intellectuel) ; et l’ensemble a ce petit côté rétro qui renvoie la femme à ses activités futiles et domestiques et l’homme à son dur labeur.

Que voit-on ? Une femme presque nue qui possède un plein mur de petites culottes comme personne n’en a jamais vu dans la vraie vie vs un homme identifié comme étant Beigbeder himself qui écrit sur un ordinateur le 1er chapitre de son grand oeuvre devant une bibliothèque richement fournie. Nous sommes d’emblée plongés dans un cliché un peu rance : c’est bien connu, la femme est un corps quand l’homme est un cerveau – posséder les deux /corps + cerveau/ semble impossible dans une représentation du monde qui délimite aussi nettement deux espaces, l’un féminin (la chair de la femme est tentation) l’autre le masculin (l’esprit de l’homme est faible).

Suit le défilé ludiquo-érotique d’une séductrice qui tente d’obtenir ce qu’elle veut de son homme essayant vainement de travailler : une relation sexuelle. D’où la métaphore extrêmement subtile de la tonte d’un gazon (« tondre le gazon » en argot signifie « faire un cunnilingus ») et ce rehaussement de fesses que ne peut s’empêcher de faire la femme qui passe en rollers devant l’écrivain qui, lui, abandonne l’idée même d’écrire.

C’est le dispositif filmique final, cependant, qui nous a le plus interpellés (constituant peut-être la source du malaise ressenti par certains internautes), en ce qu’il insiste sur le point de vue que le spectateur est contraint d’adopter : celui de l’homme, puisque que Beigbeder finit par nous interpelle du regard pour nous prendre à témoin, quand la femme, elle, n’interagit jamais avec nous mais le cherche, lui, du regard. Et ce regard que l’homme nous lance, c’est celui d’un Beigbeder toujours habillé, au triomphalisme faussement fataliste, enlaçant la jeune femme à moitié nue, l’air de nous dire tout à la fois « Comment résister ? » et « C’est moi qui l’ai, pas vous ! ». Il est donc moins question d’un jeu de séduction égalitaire entre une femme séductrice et un homme succombant à ses charmes, ce qui pourrait être sexy, mais bien d’un rapport inégalitaire entre une femme réduite à sa fonction de corps face à un homme dominateur qui choisit de se laisser séduire.

DIM, de la libération à la domination de la femme

DIM, dans ses précédentes publicités, vantait le pouvoir de libération de sous-vêtements dont la marque avait supprimé les coutures et les frou-frous pour toujours plus de confort, d’agilité. Or il n’est plus guère question ici de libération de la femme ou de l’homme mais bien de la domination de l’un sur l’autre – et, étrangement, c’est toujours l’homme qui domine. Car si c’est elle qui semble mener le jeu à distance, c’est lui qui décide (autorise?) le passage à l’acte (vs l’image d’une femme libérée, actrice de ses désirs).

Chacun est ainsi grossièrement renvoyé aux stéréotypes associés à son sexe, stéréotypes qui remontent au moins au mythe originel d’Éve la pécheresse tentatrice cueillant la pomme et demandant à Adam le pieux d’y croquer – pourquoi sinon, dans le spot de Dim, la femme grimperait-elle, dans le premier plan du spot, à une échelle pour s’emparer d’une culotte censée excitée son homme ? Pocket est cette pomme qui fera tomber l’homme, Dim ni plus ni moins que le serpent biblique et originel… Nihil novo sub sole, et certains trouveront cela au mieux convenu et au pire désolant.

« Inadmissible »

Demeure cette énigmatique punchline clôturant l’ensemble de la pub : « vous êtes inadmissible ». Un petit tour dans le Petit Robert s’impose :

Inadmissible, adjectif : « Qu’il est impossible d’admettre, de recevoir » cf. inacceptable, irrecevable, intolérable, insoutenable…

Faut-il comprendre que la femme vêtue en pocket de DIM est irrésistible parce que séduisante, tentatrice et finalement diabolique ? Oui, sans doute, puisque la femme semble être toujours considérée, dans cette dimension morale que suggère l’utilisation de l’adjectif “inadmissible”, comme mi-ange mi-démon, un peu mère, un peu sorcière, un peu salope… Mais donc, à qui peut bien s’adresser ce genre de publicité ? Et quelle nouvelle image la marque entend-elle construire par rapport à l’image de marque qu’elle a créée depuis les années 1980 ?

Un regard masculin pour une cible féminine

Tous les signes convergent en effet pour montrer que DIM s’adresse ici en priorité à l’homme susceptible d’offrir à sa compagne des petites culottes. Sauf que leur design (vs la lingerie fine) et surtout leur mode de distribution font des pockets de DIM un produit d’achat utile, du quotidien, quand il existe de la lingerie comme celle d’Aubade qui peut constituer le cadeau coquin par excellence.

Mais les femmes peuvent-elles être sensibles à cette mise en scène d’un fantasme de Frédéric Beigbeder et se retrouver dans ces clichés éculés ? Il faudrait bien évidemment compléter ce décryptage sémio par une étude qualitative, mais il nous semble d’ores et déjà possible de dire qu’un territoire d’expression d’une marque se construisant sur le long cours, en sortir ainsi est toujours compliqué à gérer. Surtout lorsque l’impression que peuvent en garder les principales intéressées est celle d’une régression qui présente le corps de la femme moins comme une image publicitaire censée vendre des petites culottes que comme un objet sexuel placé sous le joug d’une domination masculine traditionnelle.

Car oui, tout est une question de regard, celui d’un réalisateur qui décide de filmer telle partie du corps, tel champ contre-champ, telle expression du visage, telle interaction entre deux acteurs. La marque a donc raison de préciser « Pocket DIM par F. Beigbeder »  dans une typo manuscrite qui suggère que l’écrivain cinéaste, réalisateur et acteur de cette publicité, en est bien l’auteur. C’est donc bien son propre regard que Beigbeder met fantasmatiquement en scène : celui d’un quinquagénaire à la réputation libertine, rédacteur en chef d’un magazine de charme, multipliant les conquêtes, mais aux conceptions du couple paradoxalement conservatrices pour ne pas dire rétrogrades. Ce changement d’angle est à la fois nouveau et risqué de la part d’une marque qui s’est pourtant toujours placée du côté de la femme dans des publicités bien plus sexy que sexistes, en particulier depuis les années 2000.

La déclinaison print du spot est bien différente, puisqu’elle met en scène une jeune fille seule, souriante qui nous invite du regard à rejoindre la communauté DIM des filles “culottées”. Le groupe de celles qui n’ont pas l’intention de choisir entre pois et rayures, entre noire et colorée, entre confort et séduction. Bref. Entre Mode et Liberté. CQFD.

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