Sémiosine

L’Hermine, de Christian Vincent : un film de fiction(s)

On a vu et aimé L’Hermine de Christian Vincent, un film sur la justice, et sur ce pouvoir très particulier qu’ont les humains de (se) raconter des histoires.

L’hermine est ce petit animal dont la blancheur immaculée s’est rapidement vu confier la lourde tâche de symboliser tout autant la pureté que l’innocence, notamment dans le domaine de la justice. Et la justice est précisément le sujet du nouveau film de Christian Vincent – l’hermine du titre renvoyant à la fourrure blanche qui orne la robe de cette figure de l’autorité judiciaire qu’est le président de la cour d’assise.

Ce président, Michel Racine (oui, comme le dramaturge), interprété par Fabrice Luchini, est redouté de ses collaborateurs comme des accusés qui défilent dans son prétoire. Le film commence au début d’une semaine de comparutions. Premier procès en assise : celui d’un jeune homme accusé d’avoir tué sa fille. Parmi les jurés, une femme médecin qui s’était occupé de Michel Racine après un grave accident. Tombé amoureux fou de cette femme, ce dernier n’était pourtant pas parvenu à conquérir le coeur de la dame.

Deux intrigues donc, l’une sociale (la justice et ses rouages), l’autre intime (le sentiment amoureux et ses mécanismes), qui se développent tout en finesse. L’intérêt de l’ensemble ne se situe pourtant pas vraiment là, mais bien dans ce que les images ne montrent pas. Un hors champ qui laisse toute sa place à la parole, à sa puissance d’évocation, et par là à un autre type de pouvoir : celui que les hommes ont de raconter et de se raconter des histoires.

Et des histoires racontées, il y en a beaucoup dans L’Hermine : la rumeur qui se propage à partir d’un événement mal interprété ; les récits des témoins mis à mal par la défense ; la description du crime par les personnes impliquées ; les biographies que s’échangent les jurés pour mieux se connaître ; l’écharpe rouge qui permet de s’inventer un personnage ; le sentiment amour qu’on pense partagé… Les faits antérieurs au début du film, qui demeurent invisibles – le crime, le séjour de Michel Racine à l’hôpital, les tentatives de séduction – sont ainsi reconstruits par les paroles de chacun des personnages qui véhiculent une certaine vérité tout en travestissant LA vérité, celle qu’on est censé chercher, celle qu’on ne parviendra pas à trouver, celle qui sans doute n’existe pas.

Rien de manichéen donc, dans ce film qui n’oppose jamais la vérité au mensonge – enjeu bien plus important pour la justice que l’opposition « bien vs mal », comme le rappelle Michel Racine aux jurés qui doivent décider si l’accusé est ou n’est pas coupable -, mais qui tente au contraire de reconstruire une vérité à partir des vérités et des mensonges de chacun. Et qui finit par suggérer qu’un regard comporte bien plus de réalité que le mot choisi pour l’exprimer, mot qui volontairement ou non ne fera que la déformer un peu plus pour finalement la transformer en fiction.

En bonus : Coup d’oeil sur l’affiche du film

Pour l’affiche, le distributeur a fait le choix de suggérer les deux intrigues principales, celle de la justice évoquée par la robe que porte Fabrice Lucchini, et celle d’un amour naissant suggéré par ce couple qui regarde dans la même direction. Car comme l’écrivait Antoine de Saint Exupéry : Aimer, ce n’est pas se regarder l’un l’autre, c’est regarder ensemble dans la même direction. « 

L’Hermine, de Christian Vincent, avec Fabrice Luchini, Sidse Babett Knudsen, Corinne Masiero…

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