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Twelve, The Town, Kaboom : trois films aux affiches très comics

Qu’y a-t-il de commun entre les films Twelve de Joel Schumacher, The Town de Ben Affleck et Kaboom de Gregg Araki ? En apparence, pas grand chose, si ce n’est leur nationalité américaine et les dates rapprochées de leur sortie sur les écrans français, les 6 et 15 septembre et le 8 octobre 2011. Distribués respectivement par Gaumont Distribution, Warner Bros. France et Wild Bunch Distribution, ces films ont pourtant fait l’objet de campagnes d’affichage étrangement similaires.

La composition de ces trois affiches renvoie aux bandes dessinées dont les planches sont construites à partir de vignettes de tailles différentes qui, lues dans un certain sens imposé par les auteurs, constituent un ensemble narratif.

Les comics, nés dans le courant du XXe siècle, sont un élément important de la culture populaire américaine. Leurs créateurs ont inventé une grammaire visuelle, des univers foisonnants, des personnages devenus des références quasi universelles (Superman, les X-Men, etc). Roy Lichtenstein se les appropriera pour en faire des œuvre pop art, le cinéma en propose régulièrement des adaptations lucratives, des auteurs comme Michael Chabon dans Les extraordinaires aventures de Kavalier et Clay en explorent la naissance et les origines mythologiques.

Les marqueurs du comic book

Les affiches promotionnelles d’un film, qui ont pour mission d’amener les spectateurs dans les salles de cinéma, doivent suggérer l’ambiance générale, présenter la star, préciser s’il s’agit d’une comédie, d’un thriller, d’un western…Utiliser une mise en page faisant référence aux comics n’a donc rien d’anodin : c’est a priori situer l’œuvre cinématographique du côté de la fiction, hors de tout réalisme.

L’affiche de Kaboom joue ainsi sur l’artificialité de photos très colorées aux tonalités pâles. Les personnages sont photographiés sur fond uni bleu, nus dans l’intimité de leur lit ou affublés de vêtements aux couleurs primaires. Le titre, lui, est directement issu du langage des comics : « kaboom » est en effet l’onomatopée qui retranscrit en anglais le bruit résultant d’une explosion.

Les marqueurs  /comics/ dans les deux autres affiches sont à chercher dans les vignettes centrales qui contiennent les titres des films et, à la différence de Kaboom, les indications techniques. Dans les deux cas, la silhouette d’une ville, New York pour Twelve, Boston pour The Town, se dessine sur un ciel crépusculaire. Car la ville, c’est l’antre du mal et de la violence, le lieu où tous les criminels se retrouvent pour commettre leurs exactions. C’est le Gotham City de Batman, l’univers peuplé de créatures maléfiques de Spider-Man. Regardons d’un peu plus près la typographie même de Twelve :

La silhouette d’un homme en manteau se dessine dans le W. S’agit-il d’un super-héros défenseur de la veuve et de l’orphelin ? d’un anti-héros qui hante les bas-fonds urbains ? d’une figure à la Rorschach, droit sortie de la bande dessinée Watchmen d’Alan Moore et Dave Gibbons, en long manteau et visage changeant ?

Le rapprochement avec l’univers graphique du comic est renforcé par la couleur rouge associée au crime et à la violence.

Dans l’affiche de The Town, c’est le pont qui intrigue :

S’il permet d’accoler un nom, Boston,  à « la ville » du titre, il renvoie également aux deux rives qu’il relie, rives bien réelles, géographiques, essentielles au dispositif narratif mis en place dans le film, et rives fantasmatiques entre ces deux continents que sont la police et les braqueurs de banque. Les photos de l’affiche sont en ce sens sans ambiguïté : The Town est un thriller qui oppose les forces de l’ordre à des criminels déguisés en Mort faucheuse de destins.

Des photographies en lieu et place des dessins

Ces affiches fonctionnent ainsi comme la première page d’une bande dessinée qui introduit la suite de l’intrigue. Mais aucun dessin ici autre que la vignette des titres. Les trois affiches sont toutes composées de plusieurs photographies extraites des films : 9 pour Twelve, 8 pour The Town, 7 pour Kaboom. Et si l’on considère la vignette du titre comme la ligne centrale qui divise l’image dans le sens de la largeur, chaque affiche comporte une zone haute et une zone basse.

La zone haute présente les personnages principaux, un jeune homme brun et une jeune femme brune (Twelve, The Town) ou blonde (Kaboom) et un ou deux autres personnages essentiels. Leurs relations sont suggérées par les images qui s’intercalent entre les gros plans :

– un échange « argent contre drogue » dans Twelve :

– un braqueur masqué et armé pour The Town :

Dans Kaboom, il s’agit de relations de couple qu’on devine triangulaires.

La zone basse propose une vue des personnages secondaires et des situations censées intriguer l’observateur : une jeune femme étendue sur le carrelage d’une salle de bains (droguée, morte ?), un agent du FBI en pleine action (le climax du film ?), un jeune homme blond, endormi, en érection sous un drap (un moment comique ?). Les personnages regardent hors-champ, sauf le jeune homme châtain en bas à gauche sur l’affiche de Twelve, les trois femmes à droite, la femme brune en haut à gauche sur l’affiche de The Town, et deux femmes blondes sur l’affiche de Kaboom. L’effet créé est à chaque fois le même : le spectateur se sent pris à parti et doit s’interroger sur sa propre attente.

L’ensemble est plutôt cohérent et permet rapidement de catégoriser chacun des films : film social sur la drogue et les jeunes qui lorgne du côté des séries type Gossip Girl pour Twelve (dont le héros est joué par Chace Crawford, un des acteurs de la série) – ambiance rouge sang et titre énigmatique – ; histoire d’amour sur fond de thriller pour The Town – ambiance bleu urbain et titre programmatique – ; film décalé qui a tout du college movie déjanté pour Kaboom et son titre explosif. Dans tous les cas, c’est la multiplicité des personnages et la complexité de leurs rapports qui sont exposées.

La fin du monde

Mais il est une raison plus profonde à la composition de ces affiches, qui, d’un point de vue narratif, ne racontent presque rien mais qui finissent toutes par exprimer la même chose : l’éclatement du monde, de la société, et les difficultés de communication issues paradoxalement d’une trop grande communicabilité – des téléphones sont présents sur chacune des affiches, des ponts sont visibles sur l’afiche de The Town, nous l’avons vu, mais également sur celle de Twelve. Tout ceci dans un univers de jeunes gens dont les parents sont absents ou morts (Twelve, The Town), fous (Kaboom) ou encore en prison (The Town).

Les gros plans isolent les héros, les regards se croisent peu. Les affiches ont quelque chose d’une tour de Babel, avec pour seul horizon une fin du monde apocalyptique. Et c’est bien de cela qu’il s’agit : Twelve se termine dans un bain de sang provoqué par un tueur qui n’est autre que le jeune homme qui fixe le spectateur sur l’affiche. Pris d’un accès de folie, il va tirer à l’aveugle dans une fête d’anniversaire organisée par son frère en l’honneur de la jeune femme blonde qui nous toise en bas à droite de l’affiche, l’une des premières victimes du carnage – et  nous reviennent en mémoire les images d’actualité de ces attentats nihilistes qui finissent presque inexorablement par la mort du tueur qui aura finalement entraîné l’humanité dans sa chute. The Town se termine par l’affrontement entre les forces de l’ordre et les braqueurs, dans un lieu célèbre de Boston, le stade de baseball, symbole de l’union sportive anéanti dans un bain de sang dont seul le héros criminel (joué par Ben Affleck) sortira vivant, avec pour principale victime sentimentale la jeune femme brune qui nous regarde en haut de l’affiche. Kaboom se termine de façon encore plus radicale : une explosion nucléaire qui raye la Terre du système solaire, rien moins.

L’univers des comics rempli de super-héros qui apparaissent pour sauver la planète et les hommes unis contre les forces extérieures du mal s’est ainsi transformé en un monde éclaté, refaçonné par les attentats du 11 septembre, dans lequel les parents n’ont plus guère de (super) pouvoirs et les enfants sont livrés à eux-mêmes. Le hasard des programmations a donc bien fait les choses, en proposant trois films aux affiches similaires qui disent tous un peu la même chose : et si l’humanité désunie courait à sa perte ?

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