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Francesca, de Diesel : publicité inclusive ou posture opportuniste ?

La marque Diesel célèbre cette année le mois des fiertés avec un spot intitulé Francesca racontant le parcours d’un jeune homme changeant de genre pour devenir nonne. Ce faisant, la marque de jean à la communication souvent transgressive en vient ici étrangement à tenir un discours quelque peu réactionnaire autour de la dichotomie « inclusion vs exclusion ».

La présentation des étapes de la transformation physiologique se veut didactique : on voit l’homme s’épiler, prendre des oestrogènes, se caresser la pomme d’Adam, observer, dans l’un de ses nombreux miroirs, son absence de seins sous son marcel, enfiler un jean qui masque son slip blanc ; au milieu du film, il devient femme en sortant sa tête de l’eau d’une baignoire, comme une renaissance symbolique ; puis on observe la femme se raser les jambes, continuer à prendre des oestrogènes, se maquiller, enfiler un jean sur son shorty noir avant d’aller danser en boîte de nuit. Lorsque le changement de genre est administrativement acté sur sa carte d’identité et qu’elle a fêté ce qui semble être son 18e anniversaire, on la voit enfin se diriger d’un pas décidé vers un édifice religieux et s’installer dans une cellule de couvent. Entourée de sa nouvelle communauté, elle peut danser en soutane, toute à la joie d’avoir réalisé son rêve d’être enfin nonne.

Cette conversion religieuse est annoncée par la croix que le jeune homme porte autour du cou dès la première image : le Christ en croix, corps d’homme supplicié pour sauver l’humanité, devient ainsi à la fois l’indice de la foi du personnage principal et la métaphore de ce que peut vivre la femme enfermée dans un corps d’homme, qui va s’en libérer pour enfin devenir qui elle est intimement. D’où des prises d’oestrogène qui font penser au partage de l’hostie et à la communion spirituelle, et la séquence de la baignoire qui peut faire penser au baptême chrétien. 

Comment alors comprendre l’histoire de ce parcours intime que structurent deux renoncements : celui de son corps d’homme, puis celui de son corps de femme ? Car en entrant dans les ordres, Francesca renonce de fait à ce nouveau corps de femme qui disparaît sous l’habit monacal, et à une sexualité naissante niée alors même qu’elle n’a pas encore été vécue (cf. ce chaste regard échangé avec un jeune étudiant aussi rock and roll qu’elle…). Les motivations de ce personnage de fiction, joué par Harlow Monroe, elle-même mannequin transgenre, n’étant vraisemblablement que spirituelles, le film peut ainsi laisser penser qu’une transformation de ce type relèverait plus d’un choix que de la nécessité de vivre en adéquation avec qui l’on est et non pas avec un genre qui a été assigné à la naissance.

Certains sites comme La Réclame ont par ailleurs noté la filiation entre cette publicité et celle de Mars de 1995, filiation que crée l’utilisation du même morceau musical “Where Did You Sleep Last Night” et le thème narratif de l’entrée dans les ordres.

Différence cependant notable entre les deux spots : si Francesca devient femme pour pouvoir entrer au couvent et renonce ainsi à son corps de femme, le jeune homme de la publicité Mars, à l’inverse, renonce à son projet de se faire moine en raison d’une blessure d’amour après avoir dévoré une barre chocolatée, illustrant ainsi son incapacité à renoncer aux plaisirs de la bouche (et implicitement aux plaisirs sexuels). Ou comment encore et toujours placer la femme du côté de l’esprit et de la dévotion quand l’homme se situerait encore et toujours du côté de la liberté et du plaisir charnel.

Et Diesel dans tout ça ? Se voulant progressive et inclusive, la marque connue pour sa culture visuelle et sémantique transgressive se trouve ici plutôt du côté d’un certain conservatisme moral, sauf à considérer que la religion est une nouvelle forme de transgression, tout du moins quand elle accueille en son sein des personnes transgenres qu’elle a toujours du mal à reconnaître. Mais quelle est au final la raison d’être que la marque veut illustrer ? Accompagner les changements sociétaux tout en les effaçant ? Car, après tout, le mois des fiertés au cours duquel ce spot a été diffusé est celui des revendications au grand jour, pas vraiment celui d’un retour au placard … Et ce jean Diesel porté tout au long de la transformation physique comme une seconde peau puis abandonné une fois le travail accompli au profit de cet autre uniforme qu’est la soutane est-il compatible avec ce côté punk que peut autrement revendiquer la marque ?

Car c’est la religion catholique qu’on romantise ainsi à l’excès, de façon de surcroit quelque peu passéiste, romantisation qui laisse entendre que pour réussir sa vie (dixit le slogan de la marque : « For successfull living »), il faut devenir qui l’on veut (le choix) et non pas qui l’on est (la nécessité). L’inclusivité prônée par la marque s’illustre ainsi paradoxalement par un mouvement d’exclusion, la femme trans réalisant son rêve de s’exclure du monde et de nier son corps pour vivre dans un univers entièrement consacré à Dieu. D’où ce décalage entre les intentions supposées de Diesel et le message réellement véhiculé, qui risque de présenter le discours de la marque davantage comme une posture opportuniste que comme un véritable parti pris inclusif. 

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